Prix CArCoB 2015 - Rapport du Jury

En 2014, le Conseil d’administration du CArCoB a décidé la création d’un prix bisannuel attribué par un Jury issu du Conseil scientifique du Centre à une « contribution scientifique originale à la connaissance historique des mouvements communistes en Belgique ». Le prix se veut destiné « à stimuler et valoriser les recherches et travaux mettant en valeur la documentation du Centre ».

Pour sa première attribution, le prix a rencontré un écho remarquable par le nombre et la qualité des travaux qui lui ont été soumis, indiquant ainsi l’intérêt porté aux études sur le communisme en Belgique et la qualité des sources offertes par le CArCoB à la recherche scientifique.

Six candidatures ont été introduites qui témoignent chacune de hautes qualités. Ces travaux sont d’une lecture aisée et méritent tous notoriété auprès d’un plus large public, notoriété dont le CArCoB tentera d’assurer sa part, par la publicité donnée au prix, par l’évocation sur son site, par leur mise en valeur dans La Lettre du CArCoB.

L’ouvrage publié de Pascal DELWIT, PTB, nouvelle, gauche, vieille recette, Luc Pire, 2014, déjà détenteur du Prix du Livre politique en 2014 est un « produit fini », œuvre d’un chercheur confirmé, familier de l’édition, de l’analyse, de l’écriture à la fois savante et didactique. S’il peut s’appuyer sur des travaux qui ont retracé les origines, il a eu le mérite de « forcer » l’accès à des archives peu accessibles, voire dissimulées, que sa notoriété déjà bien établie lui a permis d’appuyer par une série d’interviews de première main. Il défend une thèse très politique, celle du double langage, dont il construit avec minutie la crédibilité. Par nature, son sujet ne l’a pas conduit cette fois aux ressources du CArCoB, dont il a exploité les richesses dans des travaux antérieurs.
Le jury unanime souligne les qualités de forme, de ressources, d’originalité et d’écriture de ce travail, dont la maturité même le place hors classement par rapport aux autres candidatures, dont les textes constituent la première étape d’un parcours, qu’elle soit celle d’un master ou d’un doctorat.

C’est précisément le cas du manuscrit déposé par Francine Bolle, La mise en place du syndicalisme contemporain et des relations sociales nouvelles en Belgique (1910-1937), Thèse de doctorat en histoire, ULB, 2013.
Dans ce travail qui pallie la pauvreté de l’historiographie syndicale, principalement socialiste, en Belgique, Francine Bolle trace une gigantesque fresque des transformations fondamentales intervenues dans les modes de relations sociales après 1914-1918. Elle polarise son attention sur l’acteur syndical, dont elle réussit la gageure de dessiner l’évolution et les formes pour toute la période fertile en événements de l’entre-deux-guerres. Dans cette vaste fresque, menée principalement par l’étude d’une énorme et fourmillante presse syndicale quasi inconnue car en constante évanescence, elle met à jour la présence, à la fois dans ses incarnations personnalisées et ses projections fantasmées, l’action communiste, son idéologie, sa stratégie ondoyante, ses formes d’organisation successives, ses échecs…
Elle éclaire ainsi combien la peur et l’opposition aux communistes ont déterminé nombre d’options adoptées par les dirigeants sociaux-démocrates. Elle trace le portrait de ces militants mais décrit aussi une gauche syndicale qui choisit dans les années vingt le compagnonnage des communistes et le soutien à l’URSS pour s’en détourner avec violence au tournant des années trente. Ce travail d’une envergure étonnante, recèle donc, parmi les sujets abordés la première histoire du syndicalisme communiste en Belgique entre les deux guerres. Toutes les ressources disponibles du CArCoB ont été exploitées et l’auteur annonce d’ailleurs une prochaine étude complémentaire. Le jury a particulièrement apprécié l’originalité et la richesse de cet apport fondamental à la connaissance de l’implantation effective du communisme dans le monde ouvrier en Belgique, de la stratégie communiste en la matière et de ses militants. Il souhaite que ce riche ouvrage trouve rapidement le chemin d’une publication.

Trois travaux de maîtrise ont été soumis. Parmi eux, le jury a particulièrement apprécié le travail de Lucie Boute, Willy Peers. Itinéraire politique d’un médecin communiste, Master en histoire, ULB, 2014.
Sur un sujet qui a déjà donné lieu à plusieurs publications, Lucie Boute a mis en exergue un aspect le plus souvent oublié des biographies : l’insertion de toute l’action médicale de Willy Peers, déjà bien connue, comme expression de son engagement communiste. Elle éclaire son adhésion au marxisme dès l’université, son souci de culture philosophique et la volonté exprimée de placer son action en accord avec cette logique. Dès lors son action thérapeutique, sa conception de la médecine (conflit avec l’Ordre des médecins, combat pour un Service national de santé) notamment au sein du GERM et à la Commission santé publique du PCB, la bataille victorieuse à Saint-Pierre pour faire admettre l’accouchement sans douleur, sa participation active au Conseil d’Administration de l’ULB, la vulgarisation entreprise via la tribune du Cercle d’Éducation Populaire s’inscrivent dans une seule ligne militante, même si les rapports avec le PCB n’ont pas été toujours des plus sereins. La documentation est large et diverse (CArCoB, IHOES, interviews) et très bien intégrée.
Le travail est particulièrement soigné quant à la langue, le style et surtout la construction générale.

Le jury a vivement apprécié le travail original de Remy Bersipont, Journal en révolution : étude de l’organe de presse francophone (Le Drapeau Rouge et ensuite La Voix du Peuple) du Parti communiste de Belgique (1er octobre 1921 au 17 novembre 1939), Master en histoire, UCL, 2014.
Première approche globale de la presse communiste de l’entre-deux-guerres, cette étude est construite sur une grille d’analyse originale, très bien détaillée et organisée, que l’auteur met en pratique avec succès. Il éclaire ainsi d’une manière toute nouvelle la réalité, l’évolution, les changements de forme et d’organisation de la presse communiste en Belgique. Il apporte des éclairages sur la diffusion, les finances, la publicité, l’évolution du langage en rapport avec celle de la ligne politique, les rédacteurs, la distribution générale des rubriques et leur orientation. L’exploitation des ressources du CArCoB en constitue la source fondamentale, mais il a mené la comparaison avec la bibliographie étrangère. La lecture en est cependant parfois quelque peu heurtée par le style. Mais la richesse et la diversité des apports originaux amène le jury à proposer que, remanié sur la forme et les quelques erreurs corrigées, l’essentiel du travail soit publié sur le site du CArCoB.

C’est à une histoire globale du PCB de la période concernée que nous convie Adrian Thomas, « Une telle indifférence ». La présence communiste dans les entreprises belges de l’après-guerre (1944-1948), Master en histoire, ULg, 2015.
L’auteur a brassé et synthétisé la bibliographie quasi complète de l’histoire du PCB pour ces années 1944-1948. Il le fait avec talent, reprenant même l’histoire de la guerre et synthétisant la période ultérieure. Bien qu’ayant revisité les sources fondamentales des organes centraux du PCB au CArCoB, son récit est très fortement lié aux travaux antérieurs, en particulier ceux de Hemmerijckx et Tilly. Il déploie en revanche toute son originalité dans l’étude des organisations et militants syndicaux communistes, principalement liégeois, qu’offre l’exploitation des très riches archives Théo Dejace de l’IHOES. Ce travail offre ainsi une clé fort intéressante sur la façon dont s’est opérée la dilapidation du capital conquis par le PC sous l’occupation. Une étude plus resserrée sur son objet principal et complétée par divers fonds personnels existants aurait mieux mis en valeur les capacités évidentes dont ce chercheur a fait démonstration.

À l’unanimité, le jury décerne le Prix CArCoB 2015 à Anne-Sophie Gijs pour son étude Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), Doctorat en histoire, UCL, 2014.
L’auteur a réalisé une somme érudite et passionnante à lire qui démontre comment la peur du rouge a véritablement façonné la politique coloniale de la Belgique, et au-delà, du camp occidental, principalement les États-Unis à partir de la guerre, dans ses structures politiques, diplomatiques, administratives et policières. Elle met en scène hommes politiques, dirigeants de sociétés, cadres administratifs, judiciaires, et policiers, étroitement liés, mais aussi, c’est plus rare en « histoire coloniale », les Congolais eux-mêmes ! Parallèlement, elle décrit « la réalité de l’absence », c’est à dire qu’elle étudie depuis sa fondation, la position idéologique, la propagande et « l’action » du Parti communiste de Belgique envers le Congo qu’elle inscrit parfaitement dans la ligne générale de l’Internationale communiste et ensuite de l’URSS, voire de la Tchécoslovaquie dans les dernières années. Elle démontre l’inefficacité totale des multiples tentatives de déploiements communistes en direction de la colonie avant 1958 et décrit avec justesse les liens enfin établis et jamais stabilisés à partir de cette date. Elle fait, en passant, justice du « communisme » de Patrice Lumumba sans nier pour autant les liens réels qu’il avait noués avec quelques militants principalement des Jeunesses Communistes.
Tout cela, Anne Sophie Gijs l’assied sur une documentation totalement originale et quasi universelle, trouvant des éléments essentiels et précis de « l’action communiste belge » tant à Washington qu’à Londres ou Paris. Mais révélant de manière magistrale les différents aspects des stratégies belge, américaine, française et britannique envers le Congo et ses richesses et sa position stratégique en Afrique, réussissant aussi à exhumer des sources révélatrices à propos de l’URSS et/ou de la Tchécoslovaquie, acteur de terrain important par sa légation, seule « enclave » communiste au Congo.

Ce travail remarquable tant par le contenu, la forme et l’originalité, offre au prix du CArCoB un tremplin prestigieux.

Le Jury du Prix CArCoB 2015 :
José Gotovitch, Professeur (hon) à l’ULB, membre (ém) de l’Académie royale de Belgique, président du Conseil scientifique du CArCoB
Léon Ingber, Professeur (ém) de l’ULB, ancien doyen de la Faculté de Droit
Jules Pirlot, Professeur d’histoire, retraité de l’Enseignement communal liégeois, président du CArCoB
Daniel Rochette, Professeur d’histoire retraité de la Fédération Wallonie Bruxelles
Christian Vandermotten, Professeur (hon) à l’ULB, membre de l’Académie royale de Belgique, vice-président du CArCoB
Annick Vilain, licenciée en histoire, attachée à la numérisation des patrimoines culturels, Fédération Wallonie Bruxelles

 

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